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06/05/2010

L’approvisionnement durable en restauration : comment la restauration peut-elle s’enrichir de la notion de durabilité ?

Mardi 4 mai, Restauration21 et le cabinet de conseil Genos ont organisé un petit-déjeuner débat sur le thème de l’approvisionnement durable en restauration, au restaurant équitable Quinoé à Paris. Deux heures aux cours desquelles les réflexions des nombreux intervenants ont permis, en lien avec le public composé de professionnels de la restauration, de mettre en lumière de nombreuses pistes d’actions et d’identifier les leviers à actionner.

 Adéquation entre l’offre de produits et la demande des restaurateurs  (restauration traditionnelle, indépendants, chaîne, rapide, collective, traiteurs…) en qualité et quantité, confiance entre fournisseurs et professionnels, circuits courts, bio, maîtrise des coûts, rémunération juste des producteurs … les thèmes abordés ont été nombreux.

Restauration 21 et Genos ont choisi la  restitution du contenu des échanges, sans chercher à reproduire l’ordre des paroles prises.

Nicolas Bailleux, Sodexo. Sodexo porte son intérêt à la production sans se limiter à son interface avec  les distributeurs. En matière de produits bio il s’agit cependant d’étendre la réflexion à la provenance des produits, souvent fort éloignée. Sodexo, dans la ligne du Grenelle, tente de  contribuer au développement de la filière bio en France mais constate, qu’en dehors de la visibilité qu’elle leur procure, les agriculteurs ne semblent pas trouver un très grand intérêt à collaborer avec la restauration collective.

Se pose alors la question : « Pourquoi les acteurs ne se rencontrent-ils pas ? »

Olivier Roux, producteur d’huile d’olive(AFIDOL) fait part de sa volonté d’évoluer vers le bio et clame son ouverture à toutes les collaborations. Dans la filière de l’huile d’olive, l’atteinte d’une production véritablement bio reste aujourd’hui conditionnée par la preuve de l’efficacité d’un remède bio en cours de test pour vaincre certaines maladies des oliviers. Pour expliquer la difficulté de la « rencontre » des acteurs, Olivier Roux fait état d’un problème d’organisation lié au fait que beaucoup sont de très petits producteurs et que cette « atomisation » a un impact sur le coût des produits. Il s’étonne que les producteurs français, ne représentant que 2 % du marché, aient autant de difficultés à écouler leur production en France.

Sabine Masse, maison Masse, explique que le bio n’est pas une voie possible pour la production de foie gras mais que des démarches d’amélioration existent et que des progrès restent possibles. Sabine Masse considère que les labels, dont le Label Rouge, constituent un bon moyen de communication pour faire connaître la qualité des produits aux consommateurs et les rassurer sur le respect de critères d’alimentation et de traitement des animaux. Sabine Masse, dont la société assure  également une activité de distribution, pour répondre aux difficultés de la filière de l’huile d’olive française, rappelle que dans ce domaine également les labels peuvent avoir un impact positif mais reconnaît que les actions de marketing menées par les producteurs espagnols laissent peu de place à l’expression de la voix française.

Sylvain Sendra, chef du restaurant l’Itinéraire (Paris), adopte une position sans idéologie par rapport au bio et à l’approvisionnement local. Pour Sylvain Sendra, il s’agit toujours de faire la part des choses et de conserver une approche raisonnable qui permette de progresser, sans excès. Sylvain Sendra pose la question des contraintes de coût qu’impose la restauration collective aux producteurs et souhaiterait connaître la marge de manœuvre dont elle dispose pour intégrer des produits bio et/ou locaux.

Nicolas Bailleux, Sodexo, devant la diversité des cas, ne peut donner une décomposition des prix dans l’absolu mais mentionne les ratios habituels suivants pour les coûts d’un repas : 40% pour la matière première, 40% pour le personnel, 20% pour la structure et le fonctionnement de l’entreprise.

Cédric Dubost, Adjoint au Maire de Bègles, Délégué à l’Education, à l’Enfance et à la Cuisine Centrale, explique que les contraintes sur les prix se traitent différemment selon qu’il s’agit de la restauration publique ou privée. Dans le public, les surcoûts générés par la présence de produits bio et/ou locaux, peuvent être absorbés via des budgets dédiés. Il s’agit là d’une décision politique. Cependant, malgré la présence d’une volonté de le faire, certaines collectivités ne peuvent se permettre ce choix. Dans le privé, les surcoûts sont généralement répercutés sur le consommateur qui semble avoir progressé dans son degré d’acceptation à la participation dans une évolution des produits alimentaires. Les répercussions de la crise actuelle ne sont cependant pas favorables à cette progression.

Dans le cas particulier de Bègles, sur les 2000 repas servis quotidiennement, les produits bios représentent 22% en masse ; les produits locaux proviennent d’une distance inférieure à 250 km. Le consommateur participe au coût du repas à hauteur de 60% du coût total réel. Au-delà des préoccupations de santé publique, il s’agissait d’un véritable choix politique. Une des difficultés auxquelles se heurte la restauration collective est de susciter l’intérêt des producteurs de produits bio qui se satisfont tout à fait de leur marché actuel. Globalement, trois canaux d’approvisionnement s’offrent :  

La grande distribution, qui ne pose pas de problème en termes de quantités et de coûts ; les seuls préoccupations étant liées à l’origine des produits et à l’éthique

Les franchisés, dont Biocoop, qui ne posent pas de problèmes et commencent en outre à organiser leur propre distribution

Les organisations (GIE souvent) de petits producteurs qui commencent à peine à se structurer pour adresser la demande

Philippe Devaux, directeur Développement – direction  générale achats Elior, mentionne qu’Elior constate une augmentation de la demande pour les produits bio dans la restauration pour les collectivités et l’état. Il confirme que l’atomisation du secteur représente un des problèmes du bio pour Elior car, comment assurer 20000 couverts quotidiens face à ce peu de concentration des producteurs sans risques de déstabilisation ? Philippe Devaux signale qu’Elior, pour pouvoir organiser la production, établit les menus 6 mois à l’avance. Il signale également que la matière première représente environ 3 euros par assiette et que, par conséquent, la marge de négociation avec les producteurs individuels est insignifiante. Depuis quelques années, Elior rencontre des chambres d’agriculteurs qui n’existaient pas auparavant  et qui se sont constituées pour tenter de remédier au problème de l’atomisation.

Au regard des discussions sur la répercussion des éventuels surcoûts générés par la présence de produits bio et/ou locaux, Philippe Devaux dit que se pose au donneur d’ordre le problème de l’accusation d’une pratique discriminatoire en proposant des repas « pour riches » et des repas « pour pauvres ».

Nicolas Rouiller, Ingénieur Qualité, Groupe Elite Restauration, confirme que ce problème est réel. Par ailleurs, Nicolas Rouiller revenant aux difficultés de « rencontre » avec les acteurs du bio, ajoute que certains producteurs bio craignent que leur collaboration avec la restauration collective n’altère leur image. Sur le plan des approvisionnements locaux et bio, Nicolas Rouiller fait part d’un besoin d’évolution de la demande car, aujourd’hui habitué à une grande diversité alimentaire en toute saison, le consommateur doit se réapproprier la contrainte de la saisonnalité des produits agricoles.

Sébastien Bordas, Directeur des Achats, de la Qualité et de la Logistique McDonald’s France  expose la politique appliquée de longue date par l’enseigne : 75% des approvisionnements (blé, pomme de terre, salade, bœuf, poulet) viennent de France et sont effectués directement auprès des agriculteurs, sans intermédiaires. En outre, 40% des agriculteurs sont fournisseurs de McDonald’s depuis 20 ans.  McDonald’s France accorde une grande importance à la fidélité de ses fournisseurs et contractualise sur des périodes de 3 ans (pour être en phase également avec la loi de modernisation agricole) : les prix sont fixés pour la période avec des portes de sortie possibles pour tenir compte des aléas climatiques qui peuvent affecter le secteur. Sébastien Bordas fait également état de la demande croissante de traçabilité de la part de clients à laquelle McDonald’s France est capable de répondre en 3 heures.

Par ailleurs, McDonald’s France a réalisé un Bilan Carbone® en 2005 qui a montré que les émissions de gaz à effet de serre étaient causées à hauteur de 20% par le fonctionnement de l’entreprise, 20% par les déplacements des clients et le solde par l’amont agricole … dont une grosse partie provient de la viande de bœuf. Pour faire évoluer ses fournisseurs vers une agriculture générant moins d’impacts environnementaux négatifs, McDonald’s France a lancé, avec la filière, des travaux auxquels contribue notamment l’INRA.

 

Jean-Luc Reymond, chef exécutif, Le Méridien, Starwood Hotels, expose la démarche d’approvisionnement local initiée par la volonté d’engagement des chefs pour un menu baptisé « 100% local ». Cette démarche, qui consiste à proposer un menu composé à partir de produits locaux, est limitée aux restaurants. Elle n’est appliquée dans l’activité banquet que lorsque le nombre de couverts est inférieur à 200. Les producteurs sont mis en avant sur la carte. Cette information suscite l’intérêt des clients et la formule, malgré un surcoût, connait le succès. Lire également :

Pour cette démarche, l’enseigne a surtout voulu ré-établir une chaine humaine et a rendu visite aux producteurs sélectionnés dans un rayon de 250 km. Les engagements portent sur des quantités « raisonnables » afin de s’affranchir des problèmes de rupture de livraison, d’une part, et d’éviter une pression vers l’intensification (éventuellement par des moyens peu respectueux de l’environnement) de la culture, d’autre part.  En matière de logistique, Jean-Luc Reymond a soulevé le problème de l’acheminement des produits provenant d’une multitude de petits producteurs et la nécessité de les inclure dans leur mode de transport général.

 

Alain Alexanian, cuisinier "durable" (Lyon), consultant, qui utilise 40 % de produits bio, ne communique pas cette information sur la carte mais constate que la qualité des mets conduit souvent les convives à l’interroger sur les produits qu’il utilise ; une occasion unique d’établir un contact « éducatif ». Alain Alexanian rappelle toutefois qu’en France, le bio ne représente que 2,5% de l’ensemble de la production agricole et qu’il existe un grand écart dans les relations de pouvoir que les restaurateurs peuvent exercer. Les grands de la restauration commerciale et collective ont évidemment un poids beaucoup plus important pour influencer les modes de production agricole dont il signale qu’ils se sont améliorés dans les 20 dernières années. Il partage ce point de vue avec Sébastien Bordas, McDonald’s, et convient également que la fidélisation est indispensable sur ce long chemin à parcourir. À cet égard, un participant rappelle l’effet désastreux des appels d’offre annuels tirés exclusivement par les prix et qui ne permettent pas aux agriculteurs de mettre en œuvre des démarches de progrès.

Adeline Cœur, Responsable Partenariats Entreprises, Association Max Havelaar France, a été  interpelée sur l’ambiguïté perçue entre les buts poursuivis par le commerce équitable et les démarches d’approvisionnement local. Pour Adeline Cœur cette ambiguïté n’existe pas car les produits issus du commerce équitable sont majoritairement des produits dont la culture n’est pas compatible avec les conditions climatiques locales de la France. À cet égard,  Max Havelaar a un discours favorable aux chaînes d’approvisionnement local lorsque les modes de production des produits s’accordent aux conditions locales sans impacts négatifs sur l’environnement. Adeline Cœur insiste aussi beaucoup sur le besoin d’éducation et sur le but ultime qui est de payer un prix décent aux producteurs où qu’ils soient.

David Gau, Genos, intervient pour mettre en avant les difficultés particulières de la logistique pour les produits alimentaires (saisonnalité, délais de péremption, chaîne du froid…) et plus particulièrement pour les produits en provenance d’une multitude de petits producteurs locaux.  Il rappelle que les solutions nécessitent une réflexion globale qui inclue toutes les possibilités de mutualisation et qui, ultimement, pose la question du conditionnement. Cette remarque a entrainé un début de discussion sur l’importance de l’emballage, générateur de place dans les véhicules utilisés pour le transport mais également générateur de déchets aujourd’hui mal gérés. Ce vaste sujet mériterait un débat à part entière.

Antoine Sauvage, directeur Développement durable chez Courtepaille, interrogé sur la problématique de la viande fait part des démarches engagées par Courtepaille mais rappelle que le cœur de l’offre de l’enseigne, bâtie autour de la viande grillée, ne peut ni facilement, ni brutalement changer. De plus, il mentionne que les démarches entreprises en interne, suite à un premier Bilan Carbone® dont les résultats sont similaires à ceux de McDonald’s en termes de postes contributeurs aux émissions de gaz à effet, se sont malgré tout focalisés en premier lieu sur les actions liées au fonctionnement de l’entreprise parce que les leviers à mettre en œuvre sont mobilisables en interne. Actionner les leviers qui impliquent les fournisseurs demande une conviction interne forte et une volonté d’agir sur le long terme.

Jean Fèvre, CCI 94 et en charge du projet Nutripole, a énoncé les objectifs de ce projet où la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris et Rungis se donnent pour mission de jeter les bases de l’approvisionnement futur des mégalopoles. Jean Fèvre a expliqué les limites du modèle actuel et présenté les premières pistes de réflexion, s’étant donné comme objectif de trouver les voies économiquement et éthiquement les plus favorables, c'est-à-dire sans faire porter l’effort d’économie sur le seul producteur, chainon le plus amont de la filière. Les idées de tous les participants au petit déjeuner seront les bienvenues dans le cadre de ce projet.

A lire également sur Restauration21 :

Les restaurants parisiens Starwood veulent s’engager sur le local.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/04/les-restaurants-parisiens-starwood-veulent-sengager-sur-le-local.html

« La définition d’une alimentation durable serait utile non seulement pour les consommateurs mais pour la filière toute entière ».

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/01/-la-d%C3%A9finition-dune-alimentation-durable-serait-utile-non-seulement-pour-les-consommateurs-mais-pour.html

Approvisionnement local, nutrition et durabilité : les 3 tendances gagnantes pour 2010 selon l’américaine National Restaurant Association.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2009/12/approvisionnement-local-nutrition-et-soutenabilit%C3%A9-les-3-tendances-gagnantes-pour-2010-selon-lam%C3%A9ric.html

Bio : La problématique de l’approvisionnement.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/02/bio-la-probl%C3%A9matique-de-lapprovisionnement-.html

Une charte du DD pour les cuisiniers signée Alain Alexanian en partenariat avec le WWF.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2009/12/une-charte-du-dd-pour-les-cuisiniers-sign%C3%A9e-alain-alexanian-en-partenariat-avec-le-wwf.html

Passer en bio en restauration collective, combien ça coûte ?

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/02/passer-en-bio-en-restauration-collective-combien-%C3%A7a-co%C3%BBte-.html

Des produits locaux sur les cartes… l’idée creuse son sillon à Paris.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/04/des-produits-locaux-sur-les-cartes-lid%C3%A9e-creuse-son-sillon-%C3%A0-paris.html

Starbucks : 100 % de son café espresso labellisé Faire Trade / Max Havelaar au 2 mars 2010 en France et en Europe.

https://www.restauration21.fr/restauration21/2010/03/starbucks-100-de-son-caf%C3%A9-labellis%C3%A9-faire-trade-max-havelaar-au-2-mars-2010-en-france-et-en-europe.html

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