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16/06/2021

Crise sanitaire : le coût caché de la restauration livrée

Retrouvez sur Restauration21 les tribunes Elisabeth Laville ©Philippe Zamora

La tribune d’Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies (premier cabinet français de conseil en développement durable, créé en 1993) et cofondatrice de Graines de Changement. 

Depuis plus d’un an, les restaurants subissent de plein fouet la crise sanitaire et économique – et vivent au rythme des fermetures successives imposées par l’évolution de la pandémie. Considérés comme des « commerces non essentiels », certains ont d’abord su prouver, lors du premier confinement, qu’ils pouvaient apporter une contribution positive à la gestion de la crise et réinventer leur métier en mettant, notamment, les circuits courts et les produits locaux au cœur de leur modèle. Lire aussi : La restauration, maillon essentiel de la transition et de la résilience alimentaires.

Mais alors qu’avec la réouverture des terrasses se profile une relance à la fois positive et inquiétante, la question de la survie sur le long terme reste posée et les restaurateurs doivent rivaliser d’inventivité pour maintenir leur activité. Parmi les solutions déployées pendant la crise, la livraison représente une bouée de sauvetage salutaire. Déjà en croissance avant 2020, le chiffre d’affaires de la livraison dans la restauration représente aujourd’hui 4,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 47% de croissance en deux ans selon Food Service Vision. Dans ce paysage, les plateformes de livraison règnent évidemment en maîtres, mais à quel prix ?

Invisibles livreurs
Si parfois une confusion existe à leur sujet qui mélange l’économie collaborative et l’économie sociale et solidaire, ces deux modèles n’ont en réalité ni les mêmes finalités ni les mêmes principes. Sur le sujet du modèle économique et de la répartition de la valeur, on connaissait déjà le coût social caché de ces plateformes : libertés avec le code du travail, rémunération à la course et baisses récurrentes de leur prix, management déshumanisé et dicté par l’algorithme, précarité liée au statut d’auto-entrepreneur sans promotion d’un travail indépendant de qualité (avec couverture sociale, formation, progression, association aux décisions…), etc. Mais la crise a accentué le phénomène et davantage invisibilisé les livreurs, en même temps qu’elle a boosté le développement des dark kitchens – ces cuisines professionnelles exclusivement destinées à la livraison de repas, avec des conditions de travail en cuisine littéralement obscures…

Déjà avant la crise, les plateformes étaient pointées du doigt, accusées d’encourager des conditions de travail délétères pour les livreurs. Qu’en est-il aujourd’hui ? La situation ne semble guère avoir évolué, et on pourrait tout autant avancer que les défauts du système sont autant d’opportunités pour les acteurs qui voudraient se différencier. Ainsi, Big Mamma (groupe de 12 restaurants certifié BCorp) a-t-il fait du lancement de sa « dark kitchen » Napoli Gang l’occasion d’affirmer un peu plus ses ambitions sociétales et environnementales avec la mise en avant de son attachement à l’égalité des chances lors du recrutement, de la promotion interne, de l’intéressement financier des salariés et leur association aux décisions mais aussi de son engagement vis-à-vis des livreurs – le groupe demandant à son partenaire Uber Eat de signer une charte éthique et s’engageant à reverser 1 % de son chiffre d’affaires des commandes aux livreurs.

De son côté FoodChéri, à défaut de proposer de réelles solutions pour améliorer les conditions de travail des livreurs, a fait acte de transparence sur son site en publiant déjà des réponses aux questions les plus fréquemment posés sur le sujet : système de rétribution des livreurs, conditions de travail, fonctionnement de l’algorithme de la plateforme … De manière assez unique (et sûrement précurseur), Just Eat, qui jusqu’à récemment, externalisait sa flotte de fournisseurs comme toutes les autres plateformes de livraison de repas, a de son côté choisi d’embaucher des livreurs en CDI dans plusieurs villes de France.

David contre Goliath : de nouveaux acteurs plus éthiques

L’opportunité est non moins belle pour de plus petits acteurs qui tentent de bousculer le secteur en mettant l’éthique au cœur de leur modèle – une tendance également accélérée par la crise sanitaire actuelle. C’est le cas de Resto.Paris, une plateforme créée pendant le premier confinement et née de l’association entre Olvo, coopérative spécialisée dans la livraison de proximité qui propose des CDI à ses livreurs, Coopcycle et le label Ecotable. Mais sans évolution de la réglementation, difficile pour ces nouvelles plateformes plus éthiques de se faire une place dans un paysage ultra-concurrentiel dominé par une poignée d’acteurs. Dans ce combat de David contre Goliath, les acteurs éthiques visent un nécessaire changement de paradigme et une évolution de notre rapport au temps – les clients n’exigeraient plus nécessairement de se faire livrer en 30 minutes tout en payant seulement 1 ou 2 euros la livraison (car tout prix bas comporte ses coûts cachés – qu’ils soient environnementaux ou en l’occurrence sociaux).  En Espagne, le gouvernement espagnol a fait passer le 11 mai dernier la « Loi Rider » qui permet aux livreurs de plateformes numériques d’obtenir le statut de salariés. Une première en Europe. Lire aussi : Comment sortir de la logique des prix bas ?

En attendant une montée en puissance de ces alternatives et une réglementation qui peine à arriver en France, les clients peuvent prendre part à ce changement en modifiant leurs habitudes de consommation. Car, comme le rappelait à juste titre la tribune de 109 acteurs de la restauration « Pour une restauration éthique » parue en novembre 2020 dans le JDD : « les mangeurs ont le pouvoir. Refusons ces plateformes, choisissons des alternatives, pédalons, marchons jusqu’à nos restaurants. Restaurons nos chefs et nos livreurs. ».

 

 

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