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10/10/2022

Modèles d’affaires à impact, intégration verticale : comment la restauration répond à la crise par l’innovation

Retrouvez sur Restauration21 les précédentes ribunes d’Elisabeth Laville. ©Philippe Zamora©

La tribune d’Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies  et administratrice de B LAB France.

Hausse des coûts énergétiques, des matières premières, et difficultés de recrutement : le secteur de la restauration traverse une zone de turbulences depuis le début de la crise sanitaire. Dans ce contexte, il est plus que jamais impératif de développer sa capacité d’adaptation et sa résilience, pour protéger voire développer son business – un enjeu qui amène son lot de questionnements. Comment attirer et fidéliser les collaborateurs comme les clients malgré une hausse générale des prix ? Comment construire un modèle répondant aux enjeux sociaux et climatiques actuels, tout en assurant la pérennité financière de l’entreprise ?

Une partie de la réponse pourrait se nicher dans la bifurcation vers un modèle d’affaires à impact (positif). Ce qui suppose d’abord de se départir de l’idée que ce « tournant[1] » dépend de la capacité de l’entreprise ou de celle de son fondateur à effectuer un « grand saut » dont l’idée même peut vite devenir paralysante (d’autant plus qu’on l’attend comme la pomme tombant sur la tête de Newton… et qui ne vient pas) ou d’un changement radical de fonctionnement, aussi difficile à négocier que peu susceptible d’aboutir réellement à un modèle innovant et pérenne. En réalité, cette évolution du modèle économique de la restauration, pour développer tout à la fois le business, la résilience et l’impact sociétal de l’entreprise, est peut-être bien plus à portée de main que ce que l’on en pense généralement.

Plus que d’un hypothétique grand saut, donc, il s’agit avant tout de faire des petits pas pour explorer ce que Dave Snowden appelle les « possibles adjacents » – autrement dit le potentiel d’évolution à partir de l’existant.  On ne peut ouvrir que les portes que l’on voit, comme le font les systèmes biologiques qui évoluent, nous rappelle aussi le biologiste Stuart Kauffman, par petites étapes progressives, à portée de main, plutôt que par des sauts extrêmes.

Ancrage local
Démonstration par quelques exemples du secteur : aux Etats-Unis les enseignes de restauration Zingerman’s et Bi-Rite ont su augmenter leur chiffre d’affaires et leur résilience avec un modèle de type « Community of businesses » dans lequel elles ont développé une famille d’entreprises dont les produits sont vendus en boutique traiteur. Désireuse de maximiser son ancrage local, plutôt que de se développer en réseau de franchisés à travers les États-Unis,  Zingerman’s a ainsi progressivement développé depuis 1982, dans un rayon de quelques kilomètres carrés autour de sa boutique initiale de delicatessen à Ann Arbor (Michigan), un impressionnant écosystème de 15 entreprises et 700 emplois, avec sa propre ferme et d’autres entreprises qui lui fournissent ce qu’elle achetait précédemment hors de la région (café, boulangerie, confiserie, fromagerie, restaurants, et même des services aux entreprises). Sur un mode opératoire similaire, Bi-Rite a transformé une simple boutique gourmet réputée de San Francisco en un groupe qui comprend deux épiceries de quartier, un restaurant créatif, un camion de crèmes glacées, un café, une ferme, une crèmerie, une école de cuisine.

Dans le même esprit, Luke’s Lobster, un restaurant créé en 2009 sur la côte Est des Etats-Unis avec une spécialité de “lobster rolls“ et d’autres sandwiches à base de fruits demer, a développé depuis 2012 sa propre usine de transformation et de préparation des produits de la mer, dont elle garantit ainsi la traçabilité et l’éco-responsabilité. L’usine fournit désormais les 21 restaurants développés par l’enseigne… mais aussi beaucoup d’autres restaurants américains haut-de-gamme, dans tout le pays.

Savoir-faire et patrimoine
Plus près de nous, l’enseigne française de crêperies chic Breizh Café cherche à réimplanter la culture du sarrasin en Bretagne, alors que la graine est massivement importée (notamment de Russie et d’Ukraine) et aujourd’hui sujette aux pénuries. Breizh Café a ainsi ouvert sa Ferme, où poussent plants de sarrasin et pommiers, et où les consommateurs peuvent déguster les produits de ces cultures directement sur le lieu de production. Soucieuse de transmettre ses savoir-faire et de faire perdurer le patrimoine breton, l’enseigne a également ouvert une école à Saint-Malo, L’Atelier de la Crêpe, qui forme des dizaines de crêpiers chaque année. L’approche historique d’Alain Passard a fait école : ainsi les restaurants Martin et Robert ont également fait le choix d’un approvisionnement maîtrisé, avec le développement de leur propre ferme – le Jardin sur Loire, qui fournit les légumes, herbes aromatiques et une partie des fruits des deux établissements parisiens. Les associés, Loïc Martin et Édouard Bergeon (connu en tant que réalisateur du film « Au Nom de la Terre »), ont ouvert un troisième restaurant, plus proche de leur lieu d’approvisionnement, au bord de la Loire : les Terrasses de l’île, un lieu de vie qui sert aussi de laboratoire de production pour les trois restaurants (transformation de produits locaux, notamment bière et charcuterie).

Impact social et environnemental
Les dépenses de négoce et transport représentant en moyenne 5,5% du chiffre d’affaires des restaurants[2]. L’évolution vers un modèle plus intégré verticalement et plus local est donc à la fois une source d’impact social (soutien à l’emploi et à l’économie locale) et environnemental (moins d’impact carbone)… mais aussi une source potentielle de sécurisation des approvisionnements, d’économies et de marge. Tout comme l’est, au vu du poids du poste « immobilier » (10% du chiffre d’affaires), une réflexion visant à optimiser les lieux, à les penser autrement pour y générer des revenus complémentaires : hub de restauration et partages d’espaces (comme le concept du Time Out Market déployé à Lisbonne et ailleurs, qui accueille le meilleur des restaurants de la villes en mutualisant les cuisines et les tables), pop-up stores et diversification des activités (comme la maison des Nines, restaurant indépendant du quartier de Noailles à Marseille, dont l’arrière-boutique est un concept store éco-responsable et qui loue aussi une salle à manger privée pour les réceptions), livraison à domicile dans un monde post-covid, approche plus mobile (voir par exemple le foodtruck estival déployé par le chef triplement étoilé Alexandre Mazzia dans la Cité Phocéenne pendant les travaux de son restaurant)…

Autant de nouveaux modèles économiques, plus locaux, plus circulaires, moins intensifs en carbone et plus agiles, qui permettent de générer des synergies, de développer de nouvelles options par l’élargissement de son cœur de métier originel et de se renforcer face aux crises et tensions toujours possibles (qu’elles soient d’origine sanitaire, géopolitique ou climatique), sur les approvisionnements comme sur les débouchés. Une approche où tout le monde est gagnant, puisqu’elle crée aussi plus de valeur et développe l’image de marque.

Pour en savoir plus, découvrez l’étude « Modèles d’affaires à impact : innover par l’adjacent » disponible en téléchargement sur https://utopies.com/publications/note-de-position-26-modeles-daffaire-a-impact-innover-par-ladjacent

[1] Nom du Manifeste publié récemment par Radio France pour expliciter son engagement sur le climat.

[2] tous circuits confondus, moyenne Europe-Amérique du Nord

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