12/11/2009
Le Développement durable est-il ou non une notion utile pour les directions d’entreprise de restauration ?
Ce texte reprend les éléments principaux d’un devoir réalisé, en janvier 2009, dans le cadre de mon master pro Développement durable et organisations à l’Université de Paris-Dauphine. La problématique choisit n’engage que son auteur.
Le Le Développement Durable est-il ou non une notion utile
pour les directions d’entreprise de restauration?
Préambule
En tant que journaliste, spécialisée sur le secteur professionnel de la restauration et de l’hôtellerie, j’illustrerai mes propos par des exemples rencontrés sur ce secteur. Dans le cadre de mon master, la restauration constitue l’objet de ma réflexion. Nutrition, bâti (les bâtiments des grandes chaînes situées en périphérie des villes), gestion des déchets, pour ne citer que quelques exemples, placent ce secteur au cœur de la réflexion sur le développement durable et au cœur de l’action. Une autre donnée essentielle est sa forte intensité en main-d’œuvre non délocalisable avec un turn over particulièrement élevé. D’où l’impératif pour ces enseignes de s’engager vis-à-vis de leurs salariés. Un mot également sur l’hôtellerie qui va se heurter à un paradoxe de taille : comment une entreprise hôtelière responsable peut-elle proposer de l’hôtellerie tout en évitant de faire voyager les gens ? ».
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Selon Pascal Bello[1] (2001), docteur en Sciences de Gestion, directeur général BMJ consultant, Professeur au Ceram Sophia Antipolis, le « développement durable renvoie à une responsabilité sociale, sociétale et environnementale de l’entreprise », la démarche consistant pour celle-ci à « édicter des prescriptions relativement à la prise en compte des effets externes ». En cours de construction, le concept « relève de l’action », une approche que nous retiendrons. Depuis un peu moins d’un an, les enseignes de restauration multiplient les communications environnementales. En juillet dernier, McDonald’s présentait son unité « verte » de Beaugrenelle (Paris), plus récemment en octobre, Quick mettait en avant son Institut. Avant d’ouvrir à la fin de l’année, un premier bâtiment « vert » , tout comme Courtepaille qui après avoir créé sa direction Développement Durable en 2004 concrétise sa démarche en créant son label Ecopaille, somme de toutes ses bonnes pratiques. Les petits opérateurs ne sont pas reste. Témoin, la Pataterie, un réseau de 40 unités qui lance un prototype écologique, sans doute moins « étudié » faute de moyens. Tout récemment, le Snarr (syndicat national de la restauration rapide) discret mais efficace présentait son plan de lutte contre les emballages abandonnés sur la voie publique et dans la nature élaboré avec l’Association des maires de France. Montrées souvent du doigt par les médias, les enseignes de restauration ne sont pas en reste en matière d’actions.
Partant de cette définition associant développement durable et action, nous tenterons de démontrer son utilité pour les entreprises de restauration. Eu niveau nutrition, le Développement Durable (DD) est devenu le seul moyen de communiquer pour une entreprise de restauration. Vérité ou intox ? Le débat ne nous semble pas être celui-là, le détour par le DD étant en partie imposé par les pouvoirs publics. Il sera intéressant de voir comment le secteur de la restauration investit le bâti durable, pourtant éloigné de son cœur de métier a priori (seconde partie). Nous terminerons en évoquant le décret instaurant en janvier dernier l’interdiction de fumer, illustration de la limite du DD comme mode de régulation dans les entreprises de restauration (troisième partie).
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Moins de sel dans les frites …
Peut-on reprocher aux entreprises de restauration rapide de vendre à leurs clients ce qu’ils ont envie de manger ? En 2000, le grand rassemblement (sans lendemain) à Millau contre la malbouffe s’est résumé au procès concomitant de José Bové pour la destruction du restaurant McDonald’s franchisé implanté dans la ville (L’Hôtellerie n° 26073 du 6 juillet 2000). Plus récemment, cet été, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances remis aux ministres de la Santé et du Budget suggérait la taxation des produits de « snacking » afin de prévenir les risques d’obésité. Abandonné, ce projet constituait une bombe à retardement pour les chaînes de restauration rapide accusées (à tort ou à raison) de vendre des aliments grossissant. Une fois adoptée, cette résolution les aurait contraintes d’augmenter leurs prix. En France, Quick a servi, en 2007, 190 millions de repas, par exemple. Leurs clients y viennent librement, plusieurs fois par semaine pour certains. Coincées entre les attentes gustatives de leurs clients et les injonctions des autorités sanitaires, les enseignes se sont retrouvées dans une situation paradoxale : apposer « Manger, bouger », sur les publicités pour leurs bestsellers gras et sucrés.
Chez Quick, Hubert Vuilmer explique que, après avoir arrêté de saler les frites, l’enseigne ne salera plus non plus les steaks hachés à partir de janvier prochain. La matière grasse contenue dans les sauces sera divisée par 2. Les frites, coupées d’une nouvelle façon captent moins d’huile lors de la cuisson… Des informations qui peuvent faire sourire vu de l’extérieur mais qui s’agrègent à un ensemble beaucoup plus vaste de réflexions sur la nutrition menée par l’enseigne en amont. Pour véhiculer ces informations capitales mais peu « sexy », Quick a choisi de mettre en place une campagne de communication beaucoup plus englobante et très marquée Développement Durable
(http://www.quick.fr/consumer/fr-fr/institut/default.html), autour de son Institut. Présenté en octobre dernier, ce dernier s’articule autour des 3 volets de la nutrition, de l’environnement et des ressources humaines et lui permet de se positionner sur le débat, entre la législation, ses salariés et l’opinion publique. Cet instrument qui reprend que les actions déjà engagées était devenu nécessaire pour que l’enseigne puisse témoigner concrètement de ses réalisations. [2]
Les engagements en matière de responsabilité alimentaire ne sont pas nouveaux au sein de la filière. Rappelons l’épisode de la vache folle au début des années 2000. Les autorités sanitaires et la filière viande, dépassées par le problème, ont consulté les enseignes de restauration rapide qui, elles, avaient déjà mis en places des processus performants de traçabilité. Aucune d’entre elles n’a d’ailleurs été inquiétée par ce problème. A l’époque, faute de canal Développement durable au sein de la profession, l’information de bonne pratique responsable de la santé n’a pas été diffusée. [3]
De beaux restaurants
C’est sur le bâti que les entreprises de restauration sont très présentes en matière de durabilité. Le bâtiment, c’est ce qui se voit. Les efforts déployés sont plus facilement perceptibles que ceux effectués sur la nutrition par exemple. Nous parlons ici des bâtiments solo, ces gros restaurants construits à proximité des centres commerciaux dont la réalisation clé en main coûte en moyenne un million d’euros par unité, hors foncier. « Il s’agit de détecter notre impact sur l’environnement », indiquait Gérard Barbier, directeur technique, lors de la présentation de l’Institut Quick et de l’annonce de la prochaine ouverture du premier bâtiment vert du groupe (fin 2008 à Dammarie-lès-Lys -77) réalisé selon les « meilleurs standards actuels » des références HQE pour les bâtiments tertiaires. Ossature bois, panneaux solaires, récupération des eaux, gestion de l’énergie… la construction d’un tel bâtiment coûte 20 % de plus que celle d’un bâtiment traditionnel (1 M€).
Parties intégrantes du (nouveau) message de communication, ces actions environnement peuvent être considérées comme un alibi, un argument positif qui compenserait la mauvaise image de restaurateur et aussi d’employeur de ces enseignes. « En tout état de cause, le jugement éthique rejoint aujourd’hui l’intérêt stratégique de l’entreprise : elle est acculée à prendre en compte son impact sur le développement local, afin de gagner une légitimité sociale et de rendre possible la poursuite de ses activités », écrit Cécile Renouard in Le Développement Durable : une solution pour prévenir les risques[4]. Pour s’implanter, les enseignes ont besoin que les communes leur délivrent des permis de construire et on peut aisément deviner qu’un bâtiment écolo a plus de chances de remporter la mise face à une construction plus traditionnelle…
Mais cette communication pro-marque ne doit pas faire oublier une préoccupation majeure pour ces enseignes. Tout comme elles peuvent être sommées de rendre des comptes au niveau de la nutrition, elles ne peuvent pas exclure la mise en cause future de l’impact de leur activité, de leur bâtiment en matière d’impact sur l’environnement. D’où ces nouveaux bâtiments à mettre en perspective dans un contexte plus global de fonctionnement et de remise en cause. « Les clients de leur côté n’hésitent pas à poser des questions. Nous recevons des courriers où ils s’étonnent que nos enseignes restent allumées toute la nuit. Cela donne à réfléchir car leur question est légitime », explique Antoine Sauvage, directeur Développement Durable de chez Courtepaille.
Quand le Développement Durable se grille sur la cigarette
Il est pourtant un procès que ces mêmes professionnels ont bien failli frôler, celui du tabagisme passif et de la mise en danger de la santé des salariés. Il a fallu que l’Etat intervienne via un décret (novembre 2006) précisant l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs, entré en vigueur au 1er janvier 2007 pour une grande partie de lieux de travail, pour que l’on cesse –enfin- de fumer dans les cafés hôtels et restaurants le 1er janvier 2008. Soit avec un an de retard, les professionnels du secteur ayant obtenu un répit sous couvert d’information du personnel, de mise aux normes de la nouvelle signalisation… Depuis 11 mois, les salariés sont enfin protégés du tabagisme passif sur leur lieu de travail. Si en en termes de responsabilité sociale et sociétale, l’interdiction de fumer était « du tout cuit » pour ces entreprises, elles n’ont pas su l’exploiter. Business, poids des (mauvaises) habitudes, le raisonnement en termes de DD semblait trouver des limites en raison d’une grande absence : une forte mobilisation de l’opinion publique, dans un restaurant où le partage de l’espace fumeur-non fumeur était généralement admis. La situation a été repoussée sur les terrasses (quasi closes pour certaines) et risque de faire long feu. « Les bénéfices de l’interdiction de fumer dans les lieux publics sont annulés par l’existence des terrasses fumeurs », dénonce l’association de lutte contre le tabagisme passif, soulignant dans le figaro du 20 novembre 2008 que « les objectifs de protection des non fumeurs et des salariés ne sont pas atteints dans ces lieux ». Pourtant le risque de procès intentés par des salariés pour dégradation de la santé par le tabagisme passif sur le lieu de travail est bien réel. Une « affaire amiante » 2.
Essai de conclusion
Nombre de ces enseignes prises dans le monde de la restauration se sont engagées dans des actions environnementales qui pour l’instant relèvent de l’anticipation volontaire. « Les dirigeants d’entreprise acceptent de dire, souvent hors micro, qu’ils sont demandeurs d’une menace de réglementation pour les faire avancer. Notamment ceux qui se sont engagés dans des démarches volontaires qu’ils ne peuvent traduire en avantage compétitif que si leur bonne pratique devient une norme dans un domaine où ils ont pris de l’avance sur leurs concurrents.(…) La réglementation est d’autant plus utile que la capacité de mobilisation des consommateurs reste un point d’interrogation », explique Anne-Sophie Husson-Traoré, directrice du site Novethic.fr dans une interviewe donnée au journal Alternatives Economiques[5]. Selon le principe de précaution, les directions d’entreprises s’apprêtent à pouvoir rendre des comptes et en rendent même avant qu’on le leur demande. La nutrition est le sujet « brûlant » du moment, des premiers procès pour obésité ayant été intentés aux Etats-Unis contre des enseignes. Le développement durable est utile pour les entreprises dans la mesure où il leur permet de prévenir les risques et de se positionner vis-à-vis des parties prenantes.
[1] Le Développement durable, Editions Organisations (2001), G. Ferone, C.H. d’Arcimoles, P. Bello et N. Sassenou.
[2] L’Institut sera, peut-on lire sur le site de Quick : « le vecteur de communication entre Quick et le public de sa vision globale de ses responsabilités d’entreprise, aujourd’hui comme à moyen et à long terme, et donnera de la visibilité aux actions engagées ; le lien fédérant les collaborateurs de l’entreprise, tant à titre professionnel, pour pérenniser son activité, que personnel, pour que chacun vive mieux, aujourd’hui comme demain. (…) L’Institut Quick bénéficie d’un atout de taille : celui de pouvoir s’appuyer sur un socle d’actions, certaines anciennes, montrant que Quick a toujours pris en compte sa responsabilité sociale, même si toutes les initiatives engagées n’ont pas fait l’objet d’une prise de parole. Le Groupe répond aujourd’hui à une demande du public, qui veut savoir ce que les entreprises font ».
[3] Seul Buffalo Grill a fait l’objet d’un procès sur la base d’une dénonciation. Excepté 3 mises en examen dont celle du dirigeant, l’affaire a été classée sans suite (source : L’Hôtellerie n° 2803, 9 décembre 2003)
[4] Problèmes économiques N°2.942, février 2008
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