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31/01/2024

Quand le vin bio est tiré, il faut le vendre !

Le circuit de la consommation hors domicile valorise mal les vins bio selon les consommateurs. ©Nelly Rioux

                                                                                                                                                                                                               Mettre du vin bio ou nature à la carte, c’est plutôt tendance. Mais a-t-il la cote sur les tables des restaurants ?

Par Nelly Rioux. Cet article a été publié dans le Magazine #11 de Restauration21 (janvier 2024).

La consommation de vin en France continue de dégringoler. En 60 ans, elle aurait même chuté en moyenne de 70 % par habitant. Un chiffre qui fait trembler la filière vin qui vient d’annoncer (1) la préparation d’un plan de re­lance pour répondre aux causes de ce dés­amour et aux difficultés que rencontrent les vignerons avec le réchauffement climatique et les aléas météorologiques qui impactent di­rectement leurs exploitations. Plusieurs études montrent que les jeunes entre 18 et 35 ans s’intéressent peu au vin par rapport à leurs aînés puisque leur consommation a baissé de 7 % entre 2011 et 2021, contre seu­lement 1 % pour les seniors (2). Mais ce sont pourtant les jeunes qui sont le plus enclins à consommer du vin au restaurant (49 %) alors que les boomers sont à la traîne (15 %) (3). Et lorsqu’elles consomment du vin hors du do­micile, les jeunes générations privilégient les découvertes oenologiques et favorisent celles qui sont les meilleures pour la planète et pour leur santé. Dans cette perspective les vins bio et nature réalisés avec des raisins 100 % bio ont une carte à jouer. À condition de savoir les mettre en valeur.

La filière vin pionnière

Pour Simon Varacca Oiry qui travaille pour M. Chapoutier, fameux producteur et négociant en vins installé à Tain-l’Hermitage (26), « les vignerons ont compris depuis longtemps l’intérêt de la biodynamie. Ils sont d’ailleurs largement plus nombreux à s’être convertis par rapport à d’autres productions alimentaires ». Selon l’Agence Bio, le segment de la vigne compte 11952 producteurs bio et 110320 hectares de surfaces certifiées. En 2022, 10 % du volume de vin français de la récolte 2021 a été produit en bio et représente 6 % de la consommation en volume de vin en France (4). Le vin bio se porte mieux que les autres productions alimentaires qui arborent le petit logo vert et blanc. Une récente étude menée par Circana pour le compte de l’association professionnelle Sudvinbio montre que 23 % des actes d’achat de vin bio se font en restauration, prioritairement dans les restaurants, loin devant les bars à vin et les brasseries. Le circuit CHD génère aujourd’hui 14 % du chiffre d’affaires des ventes de vin bio en France.

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Le domaine que représente Simon Varacca Oiry fait figure de pionnier en la matière. Animé par l’amour de ses terroirs, Michel Chapoutier a entamé la biodynamie en 1990 et en a fait le principe fondateur de ses crus. Mais il lui a fallu presque 10 ans pour que ses vignes lui rendent ce qu’il leur a donné. « Aujourd’hui, une bonne moitié de nos références sont bio. Nous avons même 2 ha de fleurs [ndlr: arnica, genévrier, millepertuis, etc.] pour préparer les remèdes dont la vigne a besoin et nous avons nos propres animaux dont nous utilisons le lisier pour préparer des composts personnalisés. Notre principal circuit de distribution est la restauration » explique Simon Varacca Oiry. Parmi ses clients, M. Chapoutier compte des grands noms de la restauration tels Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno ou encore Joseph Viola. « Les restaurateurs qui travaillent les produits locaux et de saison sont beaucoup plus sensibles à nos produits. Et je constate que sur la région parisienne les concepts qui ouvrent, avec à leur tête des jeunes entrepreneurs souvent audacieux, ne conçoivent pas une carte des vins sans crus certifiés AB. Aujourd’hui, les convives d’un restaurant préfèrent boire un domaine, ou la production d’un vigneron qu’ils identifient plutôt qu’une appellation ».

Se former pour mieux parler du vin bio

Ce n’est pas Laetitia Gautheron, la caviste de Gault&Millau qui le contredira. C’est elle qui orchestre les dégustations au sein de l’Atelier du Goût du célèbre guide culinaire. Lorsque nous l’avons rencontrée, elle venait de terminer une dégustation de l’appellation Bandol. « Sur les 18 domaines que nous venons de tester pour la prochaine édition du guide de la région PACA, 14 étaient bio et un en conversion. Certains domaines ont été une belle surprise ». Cette caviste chevronnée qui a décroché le bronze en 2022 lors du Concours du Meilleur Caviste de France organisé par le Syndicat des Cavistes Professionnels note que le bio prédomine souvent dans les régions où le climat est plus clément, « même si avec les aléas climatiques que l’on rencontre depuis plusieurs années, ce n’est plus forcément vrai. Mais c’est plus simple pour un vigneron de se convertir au bio lorsqu’il y a moins de risques de mildiou ou de gel. Il y a des régions très dynamiques, notamment en Occitanie ». Elle note que les vins nature ont aussi du succès car ils sont, pour la plupart, réalisés avec des raisins 100 % bio.

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Elle recommande néanmoins de faire très attention aux labels qui fleurissent: « ces vins sont nouveaux et ils ne dépendent d’aucune législation. Aujourd’hui, seul le label VMN dispose d’une Charte qui encadre la produc­tion. Normalement il est sans sulfites ajoutés mais tolère si besoin un ajout inférieur à 30 mg/l. Et dans ce cas c’est précisé ». La caviste reconnaît que les vins bios sont mieux vendus par les grandes tables soucieuses de mettre en avant les producteurs. « D’une manière générale, la vente de vin surtout bio est liée à une bonne formation du personnel en salle, surtout s’il n’y a pas de sommelier ».

Un constat partagé par Simon Varacca Oiry : « j’organise moi-même des dégustations dans les établissements car la vérité est dans le verre. J’essaye de sensibiliser les équipes, je leur explique notre travail et j’arrive souvent à leur faire sentir la biodynamie, la fraîcheur du vin, sa minéralité… On fait même des com­paraisons. Hélas ce métier connaît un tel turn-over qu’il faut sans cesse recommen­cer… ». Laetitia Gautheron souligne que des formations existent et permettent de motiver les équipes en salle: « souvent le formateur va travailler avec la carte du restaurant et donner des astuces pour mieux vendre le vin en fonc­tion des plats choisis ».

Selon Laetitia Gautheron, caviste à Gault & Millau, les vins bios sont mieux vendus par les grandes tables soucieuses de mettre en avant les producteurs. ©Nelly Rioux


Sébastien Boullic
, le sommelier du restaurant L’Isolé à Montreuil (93), lui, n’a pas ce problème. Il est convaincu qu’il faut avant tout s’intéresser aux goûts des clients pour pouvoir leur faire découvrir des appellations et des vinifications différentes. Il constate aussi que ce sont surtout les clients les plus jeunes qui sélectionnent les vins bio et les vins nature. « Les seniors restent attachés à des vins plus classiques élaborés de façon conventionnelle. Ils sont moins avides de découvertes. Notre travail c’est avant tout de comprendre ce qu’aiment nos clients pour leur faire des propositions qui s’harmonisent avec les plats qu’ils ont choisis. Et si on peut leur faire découvrir quelque chose de différent qu’ils aiment, c’est tant mieux ».

Consommer moins mais mieux

La présence en salle d’une personne capable de parler des vins sélectionnés sur la carte fait la différence. « Communiquer avec le client est essentiel, que ce soit pour lui parler de vin bio ou nature comme d’un vin plus traditionnel » reconnaît Sébastien Boullic, « ce qui compte c’est d’interagir avec lui. Le prix du vin est aussi important et le fait d’avoir une sélection en phase avec l’esprit du restaurant est essentiel. Je constate que nos clients consomment peut-être moins mais mieux » analyse le sommelier qui fait en sorte d’avoir aussi toujours une sélection de vin à prix doux. Simon Varacca Oiry insiste aussi sur ce point: « les produits alimentaires bio affichent souvent des prix excessifs, ce qui n’est pas le cas du vin bio qui reste la plupart du temps très abordable. C’est aussi un bon argument de vente ».

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Vendre du vin au restaurant, qu’il soit bio ou conventionnel reste donc avant tout une histoire de passion et d’altruisme. Les consommateurs jugent que c’est un circuit qui valorise mal les vins bio avec des notes qu’on peut juger très moyennes: 5,5/10 pour la sélection et 6,3/10 pour la mise en valeur sur les cartes des vins (5). Encourager les initiatives viticoles qui prennent en compte l’environnement et la santé humaine ouvre la voie à de nouveaux arguments de vente et permet de raconter de belles histoires qui feront sans nul doute partie de la fameuse expérience gastronomique tant recherchée par la clientèle d’aujourd’hui.

Sébastien Boullic, le sommelier du restaurant L’Isolé à Montreuil (93) aime faire découvrir ses trouvailles bio à ses clients. ©Nelly Rioux

 

(1) La filière vin a dévoilé son plan stratégique le 7/12/23 à l’occasion du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. Il réunit 9 organisations de la production et du négoce.
(2) Etude Kantar pour RTL – Novembre 2022
3) Wine Intelligence Vinitrac®, France, Avril 2022
(4) Agence BIO / ANDI 2023 – Les Chiffres du Bio – Panorama 2022
(5) Observatoire millésime bio de la consommation de vins biologiques – Étude Millésime bio – Circana 2024

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